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Qamaniq, la grande aventure

20 septembre 2017

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En août dernier, c’est avec trois autres femmes – Maryse Paquette, Pascale Vézina (ambassadrices desChèvres de montagne) et la chanteuse de gorge inuite Charlotte Qamaniq – que j’ai entrepris le projet de documentaire Qamanic, soit le défi aussi physique qu’humain de fouler au pas de course le territoire du parc national Kuururjuaq pour aller à la rencontre de femmes qui habitent ces terres éloignées.

Qamaniq*, « là où la rivière s’élargit » en inuktitut, c’était quelque 100 km parcourus pendant cinq jours, en autonomie complète. C’est aussi là où, comme la rivière, nos horizons se sont élargis. Surveillez la sortie de mon documentaire en décembre pour élargir les vôtres. En attendant, voici un bref récit de notre aventure.*

Maryse Paquette

Pascale Vézina

Charlotte Qamaniq

J’ai pris conscience de l’ampleur de l’expédition qui allait se dérouler durant les cinq prochains jours assez soudainement, dans l’eau jusqu’à la taille dans la longue et sinueuse rivière Koroc, notre point de départ. À la frontière entre le Québec et le Labrador, le parc national Kuururjuaq s’étend de la baie d’Ungava jusqu’au sommet du mont D’Iberville, dans la chaîne de montagnes Torngat. Parcouru depuis des millénaires par les Inuits de la région, ce lieu m’a toujours particulièrement attiré, d’autant plus qu’il est l’objet de nombreuses légendes; Torngat (Tongait en inuktitut) signifie d’ailleurs « la place des esprits ».

Le petit Twin Otter allait nous larguer sur la piste de terre en bordure de la rivière dont la source remonte à un glacier provenant des pentes enneigées du mont Caubvick, le point le plus haut du Québec et de Terre-Neuve-et-Labrador. Malgré la mauvaise visibilité, les vents cinglants et les nimbostratus prisonniers des sommets avoisinants, il a été possible d’atterrir en fin d’après-midi.

J’ai rencontré mon équipe quelques heures plus tôt à Kangiqsualujjuaq, le village le plus à l’est du Nunavik qui se trouve à 25 km de la baie d’Ungava. C’est un endroit reculé où les mouvements des marées se font sentir. À quelques pas de là, se trouve le lieu de mise bas du plus grand troupeau d’ongulés du monde estimé à plusieurs centaines de milliers de têtes.

Quelques mois plus tôt, Maryse et Pascale – deux fonceuses pleines d’ambition – se sont jointes à moi pour former une partie de l’équipe. Nous avions déjà communiqué ensemble quelques fois par Skype, mais c’était la première que nous nous retrouvions ensemble physiquement sur cet immense territoire.

Quant à Charlotte Qamaniq, une Inuite provenant d’Igloolik au Nunavut, elle avait décidé de se joindre à nous plus tard. Chanteuse de gorge de 31 ans et mère de deux enfants, elle a rapidement accepté de nous accompagner et de courir avec nous tout au long du projet pour se mettre à l’épreuve et reconnecter avec le territoire de ses ancêtres, qui ont traversé le parc des centaines d’années plus tôt en suivant les hordes de caribous. Elle souhaitait poser un regard sur le lien entre le dépassement de soi dans le cadre de ce défi et la douleur vécue par son peuple depuis que les hommes blancs ont envahi le territoire. De plus, Florence Pelletier (réalisatrice avec qui j’avais collaboré par le passé) allait aussi nous accompagner pour m’aider à capter le bon filon de cette histoire.

Dans l’avion, nous nous affairions aux derniers préparatifs en vue du grand départ : remplir les contenants de gaz à réchaud, passer en revue l’itinéraire de course, répartir les derniers sachets de nourriture lyophilisée dans nos cinq sacs, bricoler nos colliers de survie avec briquets et sifflets de sécurité, effectuer quelques appels d’essai avec le téléphone satellite…

Quarante minutes plus tard, nous arrivions sur le terrain. Le débarquement s’est fait rapidement, la température fraîche et brumeuse nous empêchant de nous attarder. Le tout était filmé puisque le but de l’expédition était de documenter la rencontre de deux cultures dans un environnement qui diffère totalement de ce à quoi nous étions habituées. Endossant les rôles de camerawoman et d’organisatrice de l’expédition, je me rendais compte de tout le boulot qui m’attendait les prochains jours. Les lentilles de mes caméras étaient déjà embuées à cause de l’humidité, le stabilisateur de la caméra Ronin-M fonctionnait par intermittence… Et nous n’étions toujours pas en route. À 17 h 20, nous étions enfin prêtes. Il fallait partir.

En pénétrant dans le courant de la rivière, je me suis aussitôt interrogée sur les raisons qui m’avaient poussée à faire un documentaire sur cette expédition. Est-ce que j’allais être assez forte pour assumer les responsabilités de mes rôles ? Étais-je assez bien préparée ? J’ai relégué aux oubliettes ces doutes inutiles pour me concentrer sur l’action qui se déroulait devant moi. Les filles s’étaient dévêtues pour entrer dans l’eau glaciale. Leurs réactions lors de cette première épreuve de la journée étaient positives malgré les conditions difficiles. Cette situation d’adversité venait tout juste de resserrer les liens de notre équipe nouvellement formée. Après quelques heures de course et de marche sur un terrain marécageux, notre premier repas ensemble sous la lumière de nos lampes frontales était des plus réconfortants.

C’est à ce moment-là que Charlotte nous a raconté la légende de Sedna, déesse inuite tapie dans les profondeurs de la mer et grande protectrice de la nature. Quand quelqu’un transgresse ses règles, elle se met en colère. L’harmonie, qui règne habituellement dans le monde des Inuits, est alors rompue. Comme punition, Sedna retient les créatures marines loin des chasseurs, les privant ainsi de nourriture. La seule façon de rétablir l’harmonie est entre les mains du chaman. Il doit plonger jusqu’au fond de la mer pour retrouver Sedna et lui expliquer les difficultés que connaît son peuple. Pour obtenir ses faveurs, il doit brosser sa chevelure emmêlée. Une fois satisfaite, Sedna libère le gibier et rétablit les bons rapports entre les Inuits et leur monde, mais les chasseurs doivent se souvenir de respecter tous les êtres vivants s’ils souhaitent maintenir l’harmonie.

En allant chercher l’eau pour remplir nos gourdes, j’ai regardé le vaste ciel et remercié Sedna de m’avoir permis d’être à cet endroit et de vivre cette fantastique aventure avec des femmes aussi inspirantes.

Les défis quotidiens des jours suivants m’ont grandement appris à repousser mes limites et à vivre au gré de circonstances que je ne contrôle pas. Certains me demandent si j’ai réussi à capter du bon matériel vidéo ou si nous avons réussi à parcourir la distance fixée au départ. Je leur réponds par l’affirmative. Toutefois, ma plus grande réalisation ne se trouve pas là, mais plutôt dans les apprentissages que nous avons faits durant l’expédition.

Sur le chemin du retour, nous avons pris le temps d’admirer les magnifiques herbes à coton, dont la soie commençait à se répandre dans le vent de la fin août. Nous repensions à l’aventure tout juste vécue, à cette nouvelle amitié formidable, sans limites, plus forte que le roc des montagnes traversées par nos pas et qui n’a pas besoin de mots pour être exprimée.

#QAMANIQ


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