22 novembre 2017
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Nous avons imaginé cette traversée dans l’espoir de vivre quelque chose de tellement immense, de tellement incroyable et de tellement épique que nos vies en seraient à tout jamais changées.
En janvier 2017, Tania et Martina Halik ont commencé leur expédition Coast Mountain Epic, une traversée à ski des montagnes formant la chaîne Côtière de la Colombie-Britannique. Cette aventure de cinq mois et demi (de Squamish, en Colombie-Britannique, à Skagway, en Alaska) les a amenées à traverser des champs de glace inhospitaliers et de majestueuses vallées fluviales, à affronter des blizzards et des conditions où la visibilité pratiquement nulle et à marcher dans de l’eau glaciale. Aujourd’hui, Martina raconte à MEC comment « une dame âgée et sa fille asthmatique » (comme elle aime se décrire) ont repoussé leurs limites en ski.
Tout a commencé à bord d’un vol ennuyeux vers Denver, où je me rendais pour une semaine de travail tout en sachant que mes amis et ma famille s’apprêtaient à vivre d’excitantes aventures estivales. Moi aussi, je voulais partir en expédition ! Et pas une petite; je voulais vivre quelque chose d’épique. Une expédition si longue et si difficile que je ne pourrais pas me l’imaginer sans ressentir une combinaison de peur et d’euphorie. Et voilà que l’idée m’est venue : parcourir la chaîne Côtière de la Colombie-Britannique en ski, d’un bout à l’autre.
Nous avons consacré un an et demi aux préparatifs, nous avons étudié minutieusement des cartes topographiques et analysé des données de Google Earth, nous nous sommes entraînées, nous avons réussi à convaincre des commanditaires de soutenir notre projet et nous avons déshydraté une quantité faramineuse d’aliments. Enfin, en janvier 2017, nous étions prêtes à laisser nos premières traces sur Brohm Ridge à Squamish pour amorcer notre périple vers l’Alaska.
Quand je dis nous, je fais référence à moi et maman. Je peux palper l’incrédulité collective, « Quoi ? ! Avec ta mère ? Une traversée à ski de six mois dans la chaîne Côtière ? Quel âge a-t-elle déjà, 60 ans ? » À quoi je réponds : « Oui et oui ». J’avoue que nous ne sommes pas exactement le genre d’athlètes infatigables qui calent boisson sportive sur boisson sportive et qui entreprendraient une telle expédition à caractère masochiste, mais nous avions un rêve et la volonté d’essayer quand même. Au diable l’arthrite, l’asthme et les idées préconçues de la société relativement au deuxième sexe.
Les trois jours que nous avons pris pour nous rendre de Squamish à Whistler étaient juste assez intimidants pour nous faire comprendre l’ampleur réelle de l’expédition, provoquer des bris de matériel et nous ramener à North Vancouver pour reprendre le dessus. Nous nous sommes procuré des pièces de rechange, nous avons mangé notre dernier repas en présence d’autres humains, nous nous sommes retroussé les manches et… c’était parti, mon kiki !
Il nous restait encore 47 jours avant d’arriver à Bella Coola : 47 jours de leçons, d’incidents évités de justesse, de faim, de froid et de souffrance. Mais aussi 47 des plus beaux jours de notre vie, de moments marquants : grottes de glace féériques, nuits de pleine lune sur des glaciers isolés et valses de poudreuse dans des descentes de 1100 mètres…
Il y avait aussi les caches de vivres jamais trouvées et les vallées fluviales engorgées d’aulnes, sans oublier le froid cinglant et incessant que même notre matériel ne pouvait plus endurer. Pendant un certain temps, nous songions à abandonner et à rentrer chez nous. Nous rêvions d’être assises dans un spa, de nous goinfrer et de ne jamais plus mettre les pieds dans un autre champ de glace. Malheureusement, rien ne se passait quand nous claquions trois fois des talons. Nous étions à des centaines de kilomètres de la route la plus proche.
Cela n’empêchait pourtant pas maman de continuer à foncer dans les aulnes, sourire aux lèvres, en admirant les flocons virevolter et les petites mésanges gazouiller de joie en dépit de notre combat. Cette femme a une volonté inébranlable.
Bella Coola n’est qu’à un tiers du chemin; il restait donc encore deux tiers de montagnes, de vallées, de glaciers et de rivières à croiser. Nous avions fait face à des précipitations incessantes pendant la quasi-totalité du trajet, sans parler des risques extrêmes d’avalanche, des changements constants de l’itinéraire et de la logistique inimaginable. Cela dit, il y avait d’innombrables occasions de faire preuve de débrouillardise et d’ingéniosité sous pression. Nous nous sommes épanouies et avons développé de nouvelles façons de penser et de survivre. Nous n’avons jamais perdu espoir.
Alors que le printemps arrivait, le manteau neigeux, lui, disparaissait rapidement. Nous avons décidé de sauter quelques étapes et modifier notre itinéraire. Au milieu de toute cette adversité et sans même nous en apercevoir, quelque chose avait changé. Tout semblait plus facile. Oui, le printemps s’installait et les semaines de -25 °C étaient chose du passé, mais nous continuions à faire face à de grosses tempêtes, à des avalanches et à des crevasses, à nous frayer un chemin dans la végétation dense et à nous préparer au réveil des ours. Mais à ce stade, nous composions différemment avec les difficultés : nous appliquions les leçons durement apprises au cours des derniers mois et nous étions plus fortes physiquement et mentalement. Cette traversée était devenue notre vie. Je ne songeais plus à abandonner. Pour la première fois depuis notre départ, j’envisageais la possibilité d’atteindre Skagway.
Les semaines se sont transformées en mois. Nous avons traversé des champs de glace plus grands que je n’aurais pu me les imaginer. Nous avons constaté l’effet des changements climatiques, fixant avec incrédulité des glaciers qui avaient reculé de plus d’un kilomètre en un an. Nos cartes et les photos aériennes nous étaient presque inutiles. Nous avons vu des paysages tellement magnifiques que maman et moi en étions émues. La larme à l’œil, elle s’émerveillait de la ligne interminable de pics et de séracs à l’horizon.
Nous avons eu droit à des tempêtes, à de la neige, à de la pluie et à du grésil. Parfois, le soleil nous cuisait la peau et nous gambadions vêtues de nos tutus à paillettes, ce qui nous a donné un étrange bronzage. Par une calme nuit alaskaine, un jour avant le solstice d’été et sous le soleil de minuit, nous avons fait nos derniers pas sur la montagne et sommes arrivées à Skagway.
Ce que j’ai principalement ressenti à ce moment-là était du soulagement, mais je brassais aussi tout un mélange d’émotions. Je me suis mise à pleurer quand j’ai vraiment pris conscience de ce qui se passait. Je peux affirmer en toute certitude que les montagnes m’avaient changée. La seule personne qui ne pleurait pas, évidemment, c’était maman. Je pense que pour elle, il s’agissait simplement d’une autre aventure.
En juin 2017, Tania et Martina Halik ont complété une traversée à ski de la chaîne Côtière, en Colombie-Britannique. MEC est fière de les avoir soutenus grâce à une subvention d'expédition. MEC leur a aussi fourni un réchaud à combustible liquide, une casserole de plein air avec un échangeur de chaleur intégré et une lampe frontale qui a résisté à -30 °C . Bravo Martina et Tania !