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Expédition de vélo au cercle arctique

4 juin 2018

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Sur papier, dans le confort de mon salon, l’idée me semble bien simple : rouler du point A au point B, en suivant le cercle polaire arctique.

Mon plan : parcourir à vélo environ 200 km à partir du glacier Russell, une langue de glace qui s’étire de la calotte glaciaire du Groenland, jusqu’à Sisimiut, la deuxième plus grande « ville » du Groenland. Je ferai mon possible pour suivre la piste du cercle arctique, établie au fil du temps par les sabots de caribous et les semelles Vibram de quelques rares Européens. Je serai seul dans la vaste toundra ponctuée d’arbustes, de blocs de gneiss érodés et de lacs spectaculaires.

Je n’ai que très peu d’information sur la piste et je ne trouve aucun récit de personnes qui l’ont parcourue à vélo. Le défi est lancé.

En route vers le point de départ

Bien sûr, je pourrais me rendre au Groenland en avion, faire la piste, puis revenir – mais ce n’est pas mon idée de l’aventure. Je monte plutôt à bord d’un navire donnant davantage l’impression d’être un iceberg, et je paie mon dû à One Ocean Expeditions en pilotant des zodiacs, en faisant l’interprétation des paysages désolés du passage du Nord-Ouest et en assurant la sécurité de visiteurs aventuriers au royaume de l’ours polaire.

A ship lowers a zodiac inflatable boat as another zodiac floats nearby.

Il me faut du temps pour m’habituer à la vie sur le navire. Confiné à un horaire strict sur un navire de 113 mètres sans avoir la liberté de partir pédaler à ma guise, j’ai l’impression d’être en cage. Entouré de passagers enthousiastes cherchant à tout voir et à tout savoir à propos de l’Arctique, je dois constamment faire preuve d’une grande présence d’esprit.

Mon seul répit : les patrouilles à la recherche d’ours polaires. Quatre d’entre nous partent alors dans différentes directions, armés de carabines pour l’autodéfense, servant en quelque sorte d’appâts pour les ours, tout en prenant garde de ne pas tomber sur un ours endormi dans un ravin ou dissimulé derrière des rochers, avant d’amener nos passagers sur la terre ferme. À l’étroit à bord, je trouve toujours beaucoup trop courts mes moments en solitaire sur la terre ferme.

A bench inside a ship cabin holds an array of bike touring gear.

Après trois semaines, nous arrivons enfin au Groenland, où je dis au revoir aux passagers et à mes collègues d’équipage. Après plusieurs jours entouré de gens, sans avoir véritablement de moments à moi-même, je m’attends à voir le chemin de gravier désert comme un bel environnement reposant.

Mais le changement est trop drastique, trop soudain et trop entier. Presque instantanément, mon enthousiasme laisse place à un sentiment de solitude extrême. Déjà, je rêve d’avoir un partenaire avec qui je pourrais partager le fardeau de l’inconnu.

A lone cyclist rides across a grassy slope at golden hour with mountains behind him.

Seul dans les landes

Craintif et nerveux face à la violente tempête qui s’annonce, je fais l’inventaire de mes provisions et je me procure plus de combustible que prévu pour mon réchaud. Puis, je donne mes premiers coups de pédale en direction de la calotte glaciaire du Groenland, parmi des tourbillons de poussière soulevés par le vent. La piste devant moi est austère et peu invitante. Les petits arbustes ajoutent des taches de couleur terne sur le paysage aride, qui semble avoir été taillé dans le roc par un vent sardonique.

A lone cyclist bikes across a gra
A cyclist sits on the porch of a red hut with his bike leaning next to him.

Vers la fin de ma deuxième journée, peut-être en raison d’un changement dans mon état d’esprit ou d’un effet de la lumière du soir, les collines prennent vie, enveloppées de belles couleurs automnales. Les teintes vives de rouge et d’orange des bouleaux nains, de la bruyère commune et des bleuetiers me subjuguent. Des touffes de coton se détachant des feuilles jaunes des saules miniatures flottent dans les airs comme de gros flocons de neige.

En raison d’une très courte saison de croissance, la flore dans cette partie du monde concentre son énergie dans les racines et les feuilles. Des arbres de plus de cent ans ressemblent à de jeunes arbustes comparativement à leurs homologues plus au sud. Je me sens comme un géant parcourant une forêt d’arbres minuscules, amorçant une descente rapide vers mon site de camping pour la nuit.

« Je me sens comme un géant parcourant une forêt d’arbres minuscules, amorçant une descente rapide vers mon site de camping pour la nuit. »

A bike lies on its side next to a small tent, silhouetted against a bright sky.

Lutter contre l’environnement

Les Inuits n’ont pas une riche histoire en fait de course ou de trekking sur de longues distances, puisque la plupart des déplacements par voie terrestre dans l’Arctique se font en hiver – ce que j’allais douloureusement apprendre plus tard.

Je mesure ma progression au moyen de ratios. Durant une bonne journée, mes déplacements en vélo par rapport à mes déplacements à pied sont d’environ 60/40 ou, avec un peu de chance, de 70/30. Mais j’aime la variété. Puisque je porte un lourd sac à dos, la marche donne un répit au bas de mon dos, tandis que les descentes en vélo sont une source instantanée de bonne humeur, lorsque la piste n’est pas complètement gelée.

Pousser le vélo pose son lot de défis. Même si elles me vont tout au plus aux genoux, les vigoureuses broussailles de la toundra me livrent une bataille acharnée. Les branches rigides s’agrippent sans pitié aux pédales, aux rayons et aux dérailleurs.

Les marécages sont encore pires. Marcher dans la sphaigne durant des heures nuit à ma santé mentale déjà rudement éprouvée. Chaque petite dépression dans le sol contient une mousse épaisse gorgée d’eau. Chaque pas est comme un jeu de roulette russe : pousserai-je un soupir de soulagement en sentant un appui solide, ou aurai-je un contact désagréable avec un sol spongieux et imbibé d’eau ?

A hand holds a bike shoe over the open flame of a camp stove, trying to dry it out.
A bike stands next to a small hut, as the sun breaks over a mountain in the background

La dernière nuit

Plus tôt dans la journée, j’observais les nuages lenticulaires s’amener de façon inquiétante. Sculptés par les vents en altitude qui leur donnent la forme de vaisseaux extraterrestres, ils effleurent les hauts sommets, signe précurseur de mauvais temps. Je redouble d’efforts pour arriver le plus rapidement possible au refuge indiqué sur ma carte.

Lorsque la tempête frappe, je suis heureux d’avoir un abri, si humble soit-il. Les violentes bourrasques venant des montagnes auraient sûrement eu raison de ma minuscule tente ultralégère. Les câbles d’acier fixés au refuge grincent et sifflent sous l’effet des rafales de plus de 100 km/h et j’ai l’impression que le tuyau du poêle risque à tout moment d’être aspiré hors du plafond en contreplaqué. Ce qui ne changerait pas grand-chose, puisqu’il n’y a pas de paraffine pour le chauffage.

« Les câbles d’acier fixés au refuge grincent et sifflent sous l’effet des rafales de plus de 100 km/h et j’ai l’impression que le tuyau du poêle risque à tout moment d’être aspiré hors du plafond en contreplaqué. »

Je serre mon sac de couchage sous mes aisselles et je fais infuser pour la troisième fois mon sac de thé pratiquement sans saveur. Je ne partirai pas aujourd’hui. Coincé dans ce minuscule refuge, je me limite à des demi-rations, à partir de rations déjà insuffisantes. Rongé par le froid, la faim et l’ennui, j’observe par la petite fenêtre les falaises abruptes de part et d’autre de la vallée étroite. Des ruisseaux gelés sillonnent leur face comme des toiles d’araignées congelées. Mon journal ne m’apporte que peu de réconfort, je me laisse gagner par le sommeil.

A man holds a mug of tea and looks out the window of a dark hut.

Un nouveau jour

Le matin venu, je force le haut de la porte du refuge qui s’ouvre sur les premières lueurs bleutées du jour. Une épaisse couche de givre se détache du mur et se fracasse sur les marches extérieures en bois. Une dizaine de centimètres de neige sont tombés pendant la tempête, une accumulation sculptée par le vent en longues bandes et en lames profondes. Après avoir fait cuire mon dernier sachet de gruau, j’enfile tous les vêtements que j’ai, puis j’enveloppe mes pieds de sacs en plastique pour les garder au sec le plus possible.

Le ciel est menaçant. De longues bandes de nuages foncés font contraste avec les nuages gris en forme de boules de coton. La pluie vient en trombes, me frappant le visage de côté, soufflée par les vents du large. Je resserre mon capuchon et je persévère, vivifié par les conditions.

Descendant de façon plus ou moins contrôlée à partir du dernier col, je souris en constatant l’imprévisibilité de la situation. Alors que je fonce dans une autre lame de neige aussi haute que les roues de mon vélo, je vois apparaître au loin les bâtiments colorés de Sisimut.

En septembre 2017, Ben Haggar a réalisé une expédition de vélo de 200 km en solitaire à la hauteur du cercle arctique, au Groenland. MEC lui a octroyé une subvention pour la réalisation de son projet, en plus de lui donner unebalise inReach SE, une tente Spark pour 1 personne, unsac de couchage Talon -3°C, unmatelas de sol NeoAir Xlite de Therm-a-Rest et unchargeur solaire Powermonkey Extreme de Power Traveller.* Chapeau Ben !*

Toutes les photos : Ben Haggar


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