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Escalader la face nord-ouest de l'Annapurna

8 juin 2018

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Notre ambassadeur Louis Rousseau nous raconte ici sa dernière aventure dans cette chaîne de montagnes, qui a eu lieu en avril et en mai 2017, avec ses compagnons Adam Bielecki (Pologne), Rick Allen (Écosse) et Felix Berg (Allemagne).

À la fin de cet article, vous trouverez aussi le filmAnnapurna One, le récit audiovisuel de cette expédition incroyable. Ne manquez pas ça !

Tout commence au printemps 2017, lorsque nous avions prévu d’ouvrir une nouvelle voie en style alpin sur la face nord du Cho Oyu, dans la chaîne de l’Himalaya, soit la sixième plus haute montagne du monde. Nous voulions accomplir cet exploit sans cordes fixes ni supplément d’oxygène, bref en autonomie complète.

Parmi les 14 montagnes de plus de 8 000 m d’altitude, le Cho Oyu est généralement considéré comme le sommet le plus facile à escalader, à condition cependant de suivre la voie normale. La face nord du Cho Oyu au Tibet a été gravie pour la première fois par les Slovènes à l’automne 1988 (article en anglais). Depuis, il n’y a eu que deux tentatives réussies du côté nord. J’ai donc élaboré un excellent plan pour tenter une nouvelle ligne en plein centre du mur de 4 km de large et de plus de 2 000 m d’altitude et j’ai invité Adam, Rick et Felix à prendre part à l’aventure avec moi.

Un voyage de rêve… avorté

Seulement voilà, un amalgame de contraintes professionnelles, familiales et bureaucratiques de tous bords tous côtés ont a raison de ce voyage de rêve. Cette expédition aux confins du plus haut pays du monde s’est terminée avant même d’avoir commencé… Les irréductibles que nous sommes toutefois ne se sont pas laissés abattre !

Déjà tous rendus à Katmandou, nous cherchions donc une nouvelle ligne inspirante à essayer sur une autre montagne de 8 000 m d’altitude. Annapurna ? Ouf ! Les statistiques sur les accidents n’étaient guère encourageantes. Cependant, il y avait la face nord-ouest, très peu fréquentée, à pic à souhait, mais relativement sécuritaire. Ça y était : la fameuse montagne Annapurna, 8 000 m d’altitude, gravie pour la première fois en 1950. Elle a inspiré des générations d’alpinistes. Et voilà ! Nous étions repartis, le sourire aux lèvres et fortement motivés, tandis que le rêve de Cho Oyu s’estompait doucement dans nos esprits.

L’Annapurna était notre nouvel objectif, mais nous avions besoin d’une autre montagne pour nous acclimater si nous voulions atteindre le sommet en véritable style alpin. Nous avons donc regardé sur la carte pour trouver une montagne de 7 000 m près de notre objectif principal, soit une aux pentes relativement plus douces où nous pourrions nous exercer avec nos piolets et crampons et multiplier nos précieux globules rouges. Il y avait le pic Tilicho, 7 134 m, comportant une crête s’élevant à 6 200 m, puis une longue pente sécuritaire jusqu’au sommet.

Le pic Tilicho

C’était un soulagement de quitter Katmandou pour les montagnes avec notre nouveau plan. Nous avons atteint Bise Shahar après 10 heures de trajet sur une route cahoteuse. À ce temps de l’année, la voie est carrossable au-delà de Manang.

Le 18 avril, nous avons marché jusqu’au lac Tilicho (que les habitants appellent le lac le plus haut du monde) maintenant complètement couvert de glace. De là, nous avons eu une bonne vue du pic Tilicho. C’était très impressionnant de voir cette montagne dominant la ligne nord-ouest de l’horizon. Le lendemain, nous sommes allés établir ce qui allait devenir notre camp de base pour les 10 à 12 prochains jours. Nous avions cependant sous-estimé la difficulté du trekking au Népal, car il nous a fallu beaucoup d’efforts pour traverser par mauvais temps le col de Tilicho à 5 340 m d’altitude avec nos sacs à dos lourds. Après huit heures de marche, nous avons finalement atteint un bon emplacement au pied du pic Tilicho. Nous avions un énorme respect pour nos porteurs qui ont traversé le col avec des charges encore plus lourdes.

Le 20 avril a été une journée de repos et d’organisation dans notre camp de base. Il était bon de se retrouver seuls dans ce bel environnement. Nos deux acolytes népalais, Ram et Janga, se sont révélés être d’excellents cuisiniers et gestionnaires de camp de base. Le 21 avril, nous sommes enfin partis grimper. Les pentes de neiges abruptes nous ont conduits au premier pilier rocheux que nous avons grimpé rapidement sans toucher aux vieilles cordes fixes et peu fiables qui indiquaient que cette ligne avait été gravie par les équipes précédentes il y a plusieurs années. Nous avons fini par atteindre la crête qui était notre objectif de la journée, puis nous avons cherché un endroit pour établir notre premier camp. En descendant d’environ 80 m, de l’autre côté de la crête, nous avons pu trouver un site confortable et sûr au sommet d’une ligne de falaises de glace qu’on appelle des séracs.

La deuxième journée d’escalade a été un peu plus difficile pour trouver notre chemin dans les méandres du deuxième pilier rocheux. La roche était encore plus friable et la dernière section de 70 m avant d’atteindre la crête sommitale était entièrement faite de glace. En arrivant sur la crête venteuse, nous nous sommes rapidement rendu compte que ce n’était pas un lieu hospitalier pour notre deuxième camp, mais heureusement Adam a trouvé un canyon apparemment formé par une ancienne crevasse parmi les séracs. À première vue, nous n’aurions pas pu demander un meilleur dénouement pour cette longue journée, mais pendant la nuit, le vent a tourné et notre crevasse est devenue une véritable soufflerie. Nous devions lutter contre le vent et la neige qui rentraient par les portes de nos tentes qui devaient rester entrouvertes pour la ventilation. Les effets de la haute altitude commençaient aussi à se faire sentir dans nos corps. Après tout, nous étions rendus à 6 150 m d’altitude. Après des heures sans sommeil et ayant accompli notre premier objectif d’acclimatation, nous avons décidé de redescendre au camp de base.

Redescendre ce type de terrain à pic n’était pas une mince affaire. L’option la plus sécuritaire était d’effectuer une longue série de rappels. Nous avons fait bon usage des pitons abandonnés par les expéditions précédentes que j’avais judicieusement recueillis lors de la montée. Nous avons fait de bons progrès alors qu’Adam naviguait sur le terrain complexe et installait efficacement les nouveaux ancrages. Fatigués, nous étions tout de même sains, saufs et heureux quand nous sommes arrivés au camp de base, juste à temps pour un déjeuner tardif. Le sommeil est ensuite venu facilement. Les prochains jours, nous avons bien aimé passer du temps dans notre tente cuisine nouvellement installée, qui constituait également un endroit parfait pour jouer aux échecs.

Trop optimistes

Le 27 avril, nous sommes repartis vers le pic Tilicho en quête d’acclimatation. Environ neuf heures plus tard, nous avons regagné la crevasse. La plupart d’entre nous avons passé une mauvaise nuit; nous avons reporté la montée vers le sommet jusqu’au lendemain. Nous nous sommes réveillés à deux heures, mais le vent avait gagné en force et n’a jamais faibli. Finalement, à six heures, nous avons décidé à contrecœur de redescendre, mais nous étions encore heureux d’arriver au camp de base quelques heures plus tard après les nombreux rappels.

Les jours suivants ont été marqués par des chutes de neige abondantes et répétées, totalisant environ un mètre au camp de base. Nous avons passé du temps à récupérer et à déterrer nos tentes. À ce stade, force était de constater que notre plan d’acclimatation rapide sur le pic Tilicho était trop optimiste. Qui plus est, le temps dont je disposais pour l’expédition était plus limité. Le 3 mai, j’ai donc dû prendre la décision difficile de rentrer chez moi, au Canada.


Dans les jours qui ont suivi, la météo a permis au reste de l’équipe d’atteindre le sommet du pic Tilicho. Satisfaits, du haut de ce beau sommet à 7 134 m d’altitude, Adam, Rick et Felix ont pris de belles photos et aperçu la face nord-ouest de l’Annapurna, leur prochain objectif.

À la conquête de l’Annapurna

Après moult péripéties, l’équipe de trois alpinistes est finalement parvenue à s’installer au camp de base de l’Annapurna le 10 mai. De petites équipes italiennes, espagnoles et chiliennes s’y trouvaient aussi. Ils ont aussi rencontré des membres d’une équipe internationale qui descendaient et qui ont témoigné du risque élevé d’avalanche et d’effondrement de sérac, ce qui confirmait la réputation de l’Annapurna. L’ascension du pic Tilicho avait donc été judicieuse de notre part. L’itinéraire que nous avions choisi était attrayant, extrêmement difficile, mais faisable. Acclimatés et prêts pour le grand départ, Rick, Adam et Felix devaient maintenant s’en remettre aux bonnes grâces de dame nature avant la saison de la mousson qui arrivait à grands pas et attendre une accalmie des vents violents.

Trois jours et deux nuits blanches à la verticale

Notre équipe attendait donc cette période météo idéale de trois jours pour entamer la montée. Mais plus le temps avançait, plus les alpinistes devaient se rendre à l’évidence que cela n’arriverait pas. Ils ont donc abaissé leurs attentes météo et ont profité d’une journée de vent faible pour partir le mercredi 17 mai.

Leur route les a d’abord conduits aux lacs glaciaires situés au pied du glacier de la face nord de l’Annapurna, à 200 m sous notre camp de base (à 4 100 m d’altitude), puis ils sont ensuite allés grimper lentement des terrains pierreux menant aux moraines sous la face nord-ouest. Le glacier était extrêmement fracturé, et ils ont marché sur de multiples crêtes pour finalement déboucher sur un glacier plus enneigé en fin d’après-midi. Ils ont dressé leur tente sur un petit plateau à environ 5 000 m d’altitude en savourant les derniers rayons de soleil du crépuscule.

Le lendemain matin, après une heure de marche, les trois alpinistes sont arrivés à la base d’un énorme contrefort triangulaire et devant un couloir glacé qui montait en ligne droite. Le début du couloir s’apparentait à une piste de ski, mais des stries de glace pure de plus en plus escarpées apparaissaient au fil de leur progression. L’ascension était donc longue, plus longue que ce qu’ils avaient estimé. Et les averses de neige de l’après-midi n’aidaient pas la situation. Aucune rupture dans l’angle de la pente n‘offrait de soulagement. Installer un bivouac était impensable. Ils ont donc commencé à sculpter une petite vire dans la glace au pied d’un mur de pierre afin d’ancrer la corde. De nombreuses bourrasques de neige s’abattaient continuellement le long du mur. À chaque bourrasque, l’équipe redoutait qu’il s’agisse d’une vraie avalanche qui allait risquer de les arracher de la paroi.

Au coucher du soleil, les chutes de neige se sont interrompues momentanément, laissant poindre les rayons du soleil et les flancs orientaux du Dhaulagiri. Les trois alpinistes disposaient de la superficie d’une simple corniche pour y installer la moitié de leur tente et ne pouvaient s’asseoir qu’avec les jambes qui pendaient au-dessus du précipice. Retenus à la paroi par leur corde et leur harnais à l’intérieur de leur abri de fortune, ils se reposaient comme ils pouvaient en sombrant dans un sommeil intermittent après avoir cuisiné un repas simple et ingurgité de nombreuses boissons chaudes. À travers le petit auvent, ils ont tout de même pu admirer une nuit claire et étoilée dans la chaîne himalayenne du Népal.

Se remettre en mouvement dans la matinée a été lent et ardu. Ils ont dû faire fondre plus de neige pour les boissons chaudes, remballer tout leur matériel et détacher soigneusement le matériel de sécurité qui les retenait à la paroi. Sans surprise, la pente glacée était aussi escarpée que la veille, et les alpinistes ont choisi de s’encorder dès le départ, celui en tête plaçant des vis à glace tandis que les deux autres secondaient. La nuit sans sommeil, les efforts des deux jours précédents et la glace fragile sur la roche faisaient qu’ils se déplaçaient plus lentement qu’auparavant. Une fois de plus, les chutes de neige ont commencé, et ils n’avaient toujours pas de place pour ancrer leur tente en fin de journée.

Les nuages d’embruns qui descendaient n’ont fait qu’amplifier l’urgence de dénicher un endroit pour bivouaquer. Une heure avant la tombée de la nuit, ils avaient essayé d’installer leur tente sur une petite vire de roche en pente à 6 500 m d’altitude. L’emplacement était terriblement escarpé, et une quantité de neige s’accumulait de façon alarmante entre la tente à moitié montée et la roche, ce qui poussait les alpinistes vers le vide. À la fin, ils étaient suspendus à leur harnais à partir des points d’ancrage et enveloppés uniquement dans le tissu de tente. Pas question d’enlever les bottes pour changer de chaussettes ou d’enfiler des vêtements chauds. Et ce n’est qu’au prix de grands efforts que Félix est parvenu à faire fondre de la neige pour produire un peu de liquide pour tout le monde. Le bivouac de la nuit précédente semblait bien luxueux comparativement à celui-ci… Grelottements et frissons étaient presque constants cette nuit-là. Plus tard, un mouvement imprudent contre le rocher a fait déchirer la tente, nullement conçue pour être accrochée de cette façon.

Comme si ce n’était pas assez, l’équipe a aussi perdu un tapis de sol et un sac de couchage dans l’abîme. Le matin venu, les alpinistes ont sérieusement évalué la situation et se sont demandé s’ils allaient continuer ou rebrousser chemin. D’une part, ils avaient grimpé la moitié de la face nord-ouest et ils savaient qu’ils pouvaient faire face aux difficultés techniques. D’autre part, les chutes de neige incessantes de l’après-midi étaient alarmantes, ils avaient pris du retard la deuxième journée et la fatigue accumulée n’allait certainement pas les faire grimper plus vite, sans compter que la traversée du sommet vers la voie normale avalancheuse exigeait un engagement total. En définitive, la perte du sac de couchage de l’un des membres a fait pencher la balance en faveur de la descente.

Neuf heures, 20 rappels sur des ancrages en glace de type abalakov et plusieurs longueurs de descente plus tard, les alpinistes étaient de retour sur le glacier, soulagés et heureux de monter leur tente éventrée sur un plateau de neige. Pendant qu’ils cuisinaient leur premier vrai repas depuis deux jours, le bruit des avalanches de neige poudreuse qui tombaient les confortait dans leur décision. Sur le chemin de retour vers le camp de base, alors que le grésil continuait de s’abattre, il était maintenant clair pour les alpinistes qu’il n’y avait jamais vraiment eu, au cours des derniers jours, de période météo propice à l’escalade des 2 500 m de la face nord-ouest de l’Annapurna.


Ne manquez pasAnnapurna One*, film de 13 minutes (en anglais) qui relate cette expédition au Népal. Il s’agit d’une œuvre haute en couleur comprenant des images impressionnantes d’escalade technique sur un sommet méconnu de l’Himalaya, le pic Tilicho (7 134 m d’altitude), et la vertigineuse face nord-ouest de l’Annapurna I (8 091 m d’altitude).*

Visionnez le film maintenant, juste ici :

Pour cette expédition, Louis Rousseau a utilisé les 7 essentiels MEC suivants :

*Photo principale :*Dernière section verticale avant le sommet du pic Tilicho | Photo : Felix Berg

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